SAISON DES PLUIES 2020 : LES PRECISIONS DU DIRECTEUR DE LA METEOROLOGIE NATIONALE

Daouda KONATE, Directeur de la Météorologie Nationale et ses équipes sont depuis quelques jours au front. Ils s’attellent à garantir des prévisions de qualité afin d’amoindrir les risques de catastrophes liés à la saison des pluies. Dans cet entretien accordé à Fraternité Matin, il donne des précisions sur la pluviométrie.

Nous sommes de plain-pied dans la saison des pluies 

Quelles sont les prévisions météorologiques de cette année ?

En réalité, la saison des pluies a démarré depuis fin mars, pour une durée de quatre mois. Elle court jusqu’en juillet. Il y a eu des pluies en avril et mai. Mais le mois de juin est la période de pic, avec des épisodes pluvieux qui affectent tout le littoral de la Côte d’Ivoire.

Nous avons annoncé, vendredi dernier, trois jours de pluie (samedi, dimanche et lundi). C’est ce à quoi nous avons assisté le week-end dernier. Il y a eu des pics de pluie atteignant en moyenne les 150 millimètres dans l’agglomération d’Abidjan. Une mise à jour est en train d’être faite pour mardi, mercredi et jeudi. Il est prévu une accalmie mardi et mercredi, puis une reprise des pluies à partir de jeudi. Ces prévisions sont réactualisées avec des données journalières pour être le plus fiables possible à l’approche de l’échéance. Pour être précis, nous faisons des prévisions de 72 heures. Parce qu’au-delà, les données peuvent être instables. Il faut savoir que même quand on parle d’accalmie, cela n’exclut pas de petites précipitations.

Faut-il craindre, cette année, les dégâts que nous avons connus les années antérieures ?

Les dégâts, avec leur corollaire d’inondations et d’éboulements, sont des phénomènes qui découlent de plusieurs facteurs météorologiques et environnementaux. En ce qui nous concerne, lorsque le seuil de 50 millimètres de pluie est franchi pour se situer dans la fourchette des 50-100, on est dans une zone orange à risque d’inondation. A partir de 100 millimètres de pluie, nous entrons dans une zone rouge de risque d’inondation. Nous enregistrons déjà plus d’une centaine de millimètres de pluie à Abidjan. S’il continue à pleuvoir, comme durant le week-end écoulé, on pourrait s’attendre, sur le plan météorologique, à des inondations.

Que conseillez-vous aux populations dans cette perspective ?

Je demanderai aux populations de s’informer tous les jours sur les prévisions et les tendances météorologiques. Puis de prendre les dispositions pour éviter les zones à risque. Pour ceux qui habitent les zones à risque, il faut qu’ils quittent ces endroits qui sont susceptibles, même en cas de faibles précipitations, de connaître des dégâts. Nous invitons les populations à ne pas remplir d’ordures et d’immondices les canaux d’évacuation d’eau, afin de permettre un meilleur ruissellement des crues.

Qu’est-ce qui explique que la météo annonce, par exemple, un phénomène pluvieux qui ne se produit pas ?

Une prévision comporte toujours une marge d’erreur. La prévision météorologique n’échappe pas à cette donne. Au niveau mondial, le niveau d’incertitude autorisé est autour de 10 %. En Côte d’Ivoire, nous sommes entre 73 et 84 % de bonnes prévisions. Nous faisons le maximum pour atteindre les 90 % de bonnes prévisions. La fiabilité d’une prévision repose sur deux facteurs. Primo, le facteur spatial, qui entre en jeu en fonction de la zone d’où vous donnez la prévision. Deuxio, le facteur temporel sur l’échéance. Une prévision est juste à 24 heures ou à 48 heures. Au-delà de 72 heures, quatre jours ou cinq jours, elle devient moins fiable. Il faut donc, à chaque fois, la mettre à jour. En fonction des nouvelles données recueillies, il faut actualiser la prévision. C’est une action dynamique dans le temps.

La saison des pluies, c’est à Abidjan, mais aussi dans les autres villes et même dans la partie septentrionale du pays. Les averses auront-elles la même teneur partout ? Pourquoi des saisons de pluie sont plus longues que d’autres ?

La saison des pluies concerne actuellement la moitié sud du pays. Dans la moitié nord, la saison des pluies démarre en juillet et court jusqu’en septembre. Il y a deux saisons en Côte d’Ivoire. D’avril à juin dans la moitié sud et de juillet à septembre dans la moitié nord. Il faut savoir que la grande saison des pluies court de mars à juin, voire juillet. Ensuite, il y a une petite saison sèche en août et septembre, puis une petite saison des pluies en octobre – novembre. L’on constate que les saisons ne suivent plus exactement ces dates. Cela est dû aux variations climatiques. Les saisons sont fortement perturbées. Même en petite saison sèche, il peut tomber des pluies. C’est ce qui explique aussi que des saisons soient plus longues ou courtes. Une saison peut être très pluvieuse et une autre, moins, en fonction du temps et des paramètres météorologiques.

C’est quoi les paramètres météorologiques ?

Pour faire des prévisions, il faut réaliser des mesures. En Côte d’Ivoire, nous avons un ensemble de capteurs qui mesurent la température, la pression, l’humidité, le vent, la qualité des nuages, etc. Tous ces paramètres sont relevés toutes les heures 7jours/7. Nos équipes font des permanences 24 heures/24 pour mesurer le temps qu’il fait. Ces paramètres sont introduits dans des calculateurs qu’on appelle des modèles numériques de prévision du temps pour calculer la tendance météorologique. C’est ce temps à venir qui est analysé par nos prévisionnistes, nos spécialistes pour produire les bulletins météo que nous diffusons régulièrement. Les dérèglements dont vous avez parlé plus haut perturbent les saisons culturales.

Y a-t-il une plateforme de collaboration entre la SODEXAM et le monde agricole pour juguler cette difficulté ?

Le dérèglement climatique perturbe considérablement les périodes de culture agricole. Nous avons une bonne collaboration avec le ministère de l’Agriculture et les structures en charge des questions agricoles. Nous diffusons des bulletins, tous les dix jours, pour le monde agricole. L’enjeu est de permettre aux acteurs d’anticiper les variations. Nous avons un partenariat avec le Fonds interprofessionnel pour la recherche et le contrôle agricole (FIRCA). Nous sommes en train de mettre en place une assistance pour calculer de nouvelles dates de semis de cultures en fonction du climat. Nous travaillons également en étroite collaboration avec l’ANADER et le CNRA.

Le changement climatique est-il influencé par la déforestation ?

Le désert avance à cause du changement climatique. Le changement climatique, par définition, est la variation des paramètres météorologiques dans le temps. Aujourd’hui, si on a par exemple 35 degrés de température à Abidjan, il y a dix ans, c’était 27 degrés. On regarde l’évolution sur cette période et on conclut que le temps a changé. C’est une conséquence de l’avancée du désert. Il y a des effets amplificateurs qui sont la déforestation, le gaz à effet de serre, etc.

Les services du ministère en charge de l’Assainissement vous sollicitent-ils dans le cadre de leurs activités ?

Les bureaux d’études en charge des questions d’assainissement nous consultent pour des données climatiques que nous leur fournissons pour leurs besoins.

Pouvez-vous revenir dans le détail sur les attributions de la SODEXAM?

Retenez que nous avons un dispositif bien huilé sur le terrain. Nous faisons des mesures chaque heure à l’échelle nationale. Nous disposons d’une quinzaine de bureaux et d’une cinquantaine de stations, qui fournissent des données en temps réel. La SODEXAM intervient sur deux volets : l’aviation et la météorologie. Pour le volet météorologique, nous faisons des prévisions générales, nous intervenons dans le domaine agricole, les travaux publics. Des bureaux d’études nous consultent par rapport au dimensionnement des ouvrages. Les architectes nous consultent également pour dimensionner et orienter leurs constructions. Dans le domaine de la santé, la pluie favorise le paludisme, les maladies hydriques, etc. Nous produisons des bulletins pour permettre aux praticiens de la santé de prendre des dispositions pour les programmes de vaccination. Nous intervenons, par ailleurs, dans le transport, l’aéronautique, la marine, la pêche, etc. Nous produisons des bulletins pour indiquer les tempêtes en mer et les zones favorables de pêche. Durant la saison sèche, nous communiquons sur l’harmattan en produisant des données sur la quantité de poussière dans l’air pour le ministère en charge de la Santé, afin de lui permettre de juguler les risques de méningite et des maladies liées à la poussière et à l’air sec. En ce qui concerne les feux de brousse, nous réalisons des bulletins pour les autorités en charge de la lutte contre ce phénomène. Nous indiquons, tous les dix jours, les zones probables de départ de feu. Des assureurs nous consultent également pour des dossiers de dédommagement de clients victimes de sinistres liés au temps, à la météorologie. Par exemple, une maison assurée décoiffée par un grand vent. Nous informons les barrages sur les niveaux de montée et de baisse des eaux. Cela permet aux gestionnaires de réguler la production d’électricité. Nous passons sous silence nos interventions dans l’aviation. Mais sachez que les bulletins météorologiques ne représentent que 10 % de ce que nous faisons.